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Discours de Raymond Susini pour la 133 ème SAINT CHARLEMAGNE.

Quand on est pressenti pour présider la SAINT CHARLEMAGNE on s’interroge généralement sur les raisons de cet honneur .Tous les présidents passés l’ont fait et il est probable que ceux qui me succéderont le feront aussi.
Personnellement j’ai trouvé deux motifs susceptibles de justifier ce choix :

- D’abord je suis sans doute le plus vieux Président dans l’histoire de la Saint Charlemagne. J’ai peut être été choisi à l’ancienneté, au bénéfice de l’âge .

- Ensuite je suis le bahutien qui a usé le plus de fonds ce culotte sur les bancs de notre vieux bahut : 14 années au total ,depuis la maternelle jusqu’à la « philo » !

Ces deux constatations me paraissent suffisamment pertinentes pour justifier votre décision de me confier la présidence de la 133ème Saint Charlemagne

Et cette histoire de fond de culotte fait ressurgir le premier souvenir de ma scolarité au lycée. A l’époque, c'est-à-dire en 1938 /1939, mon père occupait les fonctions d’économe au Lycée, je suppose que maintenant on dirait administrateur ou intendant, et nous logions dans un appartement qui donnait sur la deuxième grande cour, c'est-à-dire celle donnant sur la rue Lafayette. C’était au deuxième étage avec un bel escalier doté d’une magnifique rampe en fer forgé. La tentation était donc grande pour un gamin de 4 /5 ans de se laisser glisser sur celle –ci pour accéder le plus rapidement possible à la cour. Mais il y avait un problème sérieux : le problème était que tous les 2/3 mètres cette rampe présentait des protubérances pointues qui nuisaient à une glisse harmonieuse. Il m’a donc fallu résoudre ce problème technique. J’y ai laissé quelques fonds de culotte et certainement couru dans cet exercice les plus grands risques de mon existence –y compris militaire.

Alors de ces 15 années passées au Bahut que reste t’il ? Quels sont les faits, quels sont les figures qui émergent ? Quels sont les personnages marquants ?

Et bien je vais commencer par le plus modeste, le plus obscur d’entres eux, le père Chotard. Il s’agissait de l’employé qui assurait le nettoyage des classes et qui allumait les poêles. Cet homme qui n’avait aucun savoir à transmettre a été celui qui, lorsque mon père est mort en 1940 tout au début de la guerre sur le front des Alpes, est venu m’apporter discrètement ce qui pouvait, à l’époque, faire le plus plaisir au gamin de six ans que j’étais. Il m’a apporté régulièrement des poignées de billes d’agates, de toupies, d’osselets, qu’il trouvait dans les salles et dans les cours. Je n’ai jamais oublié ce geste : s’agissait-il de pitié ou de fidélité à mon père ? Je n’en sais rien, et peu importe . Plus tard, sur le terrain, dans ma vie militaire, j’ai retrouvé des hommes de cœur comme celui là. Des hommes généreux, des hommes fidèles en amitié. Mais peut être la générosité est elle plus naturelle chez les plus démunis ? Voilà peut être un sujet de dissertation de philosophie ?

Comment parler des autres ? J’ai l’impression que mes prédécesseurs ont déjà tout et tant dit ! A un moment j’ai pensé faire un classement, mais sur quels critères, Qualités professionnelles : pédagogie, compétence, conscience professionnelle ? Etions nous capables de juger du haut de nos 7 à 18 ans ? Qualités humaines ? Encore moins. Je me suis aperçu rapidement que cette démarche, très cartésienne, était prétentieuse et risquait d’être injuste alors, si vous le voulez bien, déroulons cette galerie de portraits dans le désordre et la quasi improvisation.

Et pourquoi ne pas commencer par la cour des petits celle de la rue du Bessat. Je me souviens de Madame Soumaire, excellente institutrice, mais qui était experte dans l’art de la double gifle de revers et de coup droit. Cela vous remettait les idées en place, et c’était très bien .Dommage que le laxisme ambiant ait condamné cette méthode.

Je me souviens de Madame Malzieu, exigeante, attentive et dont les yeux coiffés d’énormes et épaisses lunettes verdâtres évoquaient pour moi un scaphandrier ou le Capitaine Némo dans « Vingt mille lieux sous les mers » ; et puis il y avait Monsieur Chapot, main droite dans le gilet comme Napoléon Bonaparte, chapeau sur la tête, digne et respecté. Je le revois commençant sa classe dans un silence de cathédrale, taillant ses crayons « Baignol & Farjon » avec le même petit canif depuis des générations. Si vieux que la lame en était toute incurvée. J’entends encore son crissement sur le bois. Mais surtout je me souviens du système de classement continu mis en œuvre par ce maître : les résultats de la semaine attribuaient les places sur les bancs de la classe il y avait 5 bancs de 6 places. La compétition était donc permanente, aussi bien d’ailleurs pour le premier rang que pour le dernier. Sur le premier banc étaient installés ceux que l’on appelait pas encore les surdoués ; à l’époque il s’appelaient Fabre, Monteillard, Pelorson. Je ne les ai approchés que de loin étant plus besogneux que doué, mais j’ai réussi par intermittence à glisser une fesse sur le premier banc. Je suppose que maintenant un tel système serait rejeté avec horreur et considéré comme traumatisant pour les jeunes têtes blondes du vingt et unième siècle. Il donnerait lieu à des recours contre son auteur pour cruauté mentale et probablement à la mise en place d’une cellule de soutien pédagogique pour aider les écoliers à surmonter les séquelles psychologiques d’un classement au mérite. Mais pour nous, dans notre époque, c’était stimulant . En fait cela nous préparait aux compétitions de la vie.

A propos de stimulant, peut être les plus âgés d’entre vous se souviennent ils de la cérémonie de la distribution des prix au théâtre municipal, dans cette adorable bonbonnière rococo à l’italienne. Nos professeurs siégeaient en majesté sur l’estrade avec robe et épitoge (si je traduis en termes militaires je dirais fourragère), les professeurs de lettres en robe jaune et ceux de sciences en mauve. Nous étions appelés pour chaque prix. Pour certains c’était donc un aller et retour continuel qui suscitait dans l’assistance des ‘’ oh ‘’ admiratifs. Une telle cérémonie est bien sûr impensable actuellement , cela ne correspond plus au politiquement correct, mais, à l’époque, l’autorité des maîtres y était consacrée, ou restituée temporairement à ceux qui l’avaient perdue en cours d’année.

Mais revenons dans notre 1ère cour, celle des petits, la cour du Bessat. Dans un coin se trouvait le bureau des sports où régnaient MM Farigoule et Martinez. Quel personnage que Farigoule, dit le FaFa !! Tout au long du trajet vers le stade, que nous effectuions à pied le Jeudi après-midi, notre petite troupe maigrissait progressivement, amputée qu’elle était de toutes les fortes têtes et des allergiques au sport .Notre FaFa continuait imperturbablement affectant de ne s’apercevoir de rien. A l’arrivée sur place, la séance commençait par des tours de piste dont le nombre était fonction de la récolte de pissenlits effectuée par Farigoule sur la pelouse du stade. Au retour tout rentrait dans l’ordre et Farigoule récupérait dans les cafés les effectifs qu’il avait laissé en route.

Mais je dois avouer que Farigoule était aussi un bon éducateur et qu’il ne manquait pas d’audace, ou d’inconscience. Tout autour du stade il inventait des exercices peu communs comportant des prises de risques, notamment autour des piles du viaduc, sans aucune sécurité, sans assurances d’aucune sorte. Aucun exercice n’a tourné au drame heureusement. Il est probable cependant que le principe de précaution et le risque 0 qui paralysent la prise d’initiative interdirait maintenant à un professeur d’agir aussi librement ! Mais dans la période d’après guerre il n’y avait pas beaucoup de distractions valorisantes et formatrices pour un jeune : pas de skate board, d’équitation, d’escalade, de descente en rappel etc. Le judo commençait à peine, alors Farigoule avec sa fantaisie nous apportait un petit parfum d’interdit, d’aventure et d’exotisme.

Avec M Martinez c’était autre chose strict, sévère, rancunier, il avait trouvé une méthode simple et efficace pour se faire respecter : à bout portant il propulsait un ballon bien gonflé dans la figure des récalcitrants. Si certains d’entre vous ont la paroi nasale déviée ils ont l’explication. Merci M Martinez !

Puisque nous sommes un peu dans le registre des vindicatifs, nous en arrivons tout naturellement à Monsieur Picard, professeur principal de français et latin.On ne pouvait pas plus mal commencer le secondaire. Paresseux et intelligent, il appliquait une méthode simple et confortable : il effectuait un classement initial de ses élèves et s’y maintenait quoiqu’il arrive. Je me souviens encore, lorsque après m’avoir interrogé, il concluait de sa voix grinçante et un gros soupir ponctué par les lunettes qui retombaient sur le nez comme une guillotine: « Susini asseyez-vous, zéro comme d’habitude ». J’ai fait là l’apprentissage de l’injustice. On parvient à s’en remettre.

Alors arrivait Monsieur Naneix que j’appellerai le renard argenté à cause de sa chevelure d’argent et des tarifs de ses cours de rattrapage, les « petits cours ». En début d’année il présentait si adroitement leur utilité que la plupart d’entre nous s’y inscrivaient . Au demeurant il était sincère car il transférait dans ces cours toute l’énergie qu’il ne mettait pas dans ses heures de cours « officielles ». Nous mêmes y trouvions notre intérêt puisque nous bénéficions d’un enseignement de qualité. En fait Monsieur Naneix était en avance sur son temps : il avait inventé l’opération « win-win », gagnant-gagnant ! Enfin, surtout pour lui.

Il succédait en réalité au flamboyant Monsieur Faurie professeur de français et de latin. C’était un des rares professeurs agrégés de l’époque et il jetait un regard condescendant sur le troupeau de misérables vers de terre que nous étions .Nous étions impressionnés par sa réputation d’agrégé qu’il savait adroitement mettre en valeur, et surtout par son goût pour les cigarettes américaines à bout doré. Dans les périodes de pause il déambulait dans le couloir devant sa salle de classe, allumait quelques cigarettes et une dernière juste avant de rentrer en cours. Devant nos regards éblouis il la jetait en l’air d’un mouvement sec du médium .Et nous, pauvre piétaille ignare, nous pensions que ces manières étaient celles d’un seigneur, qu’elles étaient peut être la marque des agrégés et ,qu’en tout cas ,seul le traitement d’un agrégé pouvait autoriser une telle magnificence.. Aucun d’entre nous cependant ne s’est jamais précipité pour recueillir les mégots à bout doré. Nous avions notre dignité !
Je dois reconnaître que M Faurie était en outre un bon observateur. Au cours d’une période d’indisponibilité il avait écrit une petite invocation aux Dieux grecs pour l’aider dans sa tâche auprès des élèves. Sur moi il avait écrit : « du martial Susini soulève la moustache pour trouver la virgule ou le point qui s’y cache ». Cela n’a hélas pas suffit pour me guérir, avant longtemps, de ce défaut. Voir Nota in fine.

Avec Jean Demeure nous entrions dans une autre dimension celle de la bonhomie, de la normalité. Il était tout en rondeur, avec une voix grasseyante et un parler très lent.
Il rassurait, bref c’était le bon Papa : C’était le père Demeure. En outre nous étions très fiers d’avoir un professeur dont le nom figurait dans un renvoi de bas de page de notre gros livre de littérature « le Brunschvig ». Il y était présenté comme un érudit : « un érudit monsieur jean Demeure a prouvé que …. » Peu nous importait ce qu’il avait trouvé mais c’était comme si sa notoriété rejaillissait sur nous. Bien entendu nous connaissions le numéro de la page ou il était cité et chaque génération le transmettait à la suivante. Sa qualité d’érudit a été renforcée par la part de mystère qu’il y a ajouté. Un beau jour il nous a interrogés sur la signification des initiales de l’association YMWCA. Comme nous étions bien en peine de donner une réponse il nous avait dit : « y a moyen de coucher avec ». Alors nous avons pensé qu’il avait trouvé un système, un filon pour cela. En fait, vous le savez, YMWCA veut dire : « Young Men Women Christian Association ».C’est une association très connue aux Etats-Unis qui gère des salles de sport.

L’autre professeur dont nous étions très fiers était Monsieur Picon, professeur de philosophie. J’ai eu la chance d’être là le jour ou il a été inspecté . Je me souviens encore de la conclusion de l’inspecteur : « Messieurs vous avez la chance d’avoir le meilleur professeur de philosophie de France ! » Ses cours étaient si passionnants que je ne prenais aucune note alors que j’étais au premier rang juste en dessous de son bureau. Il a fini par s’en offusquer et ,au lieu de lui donner la raison de ma passivité et d’en tirer avantage auprès de lui , j’avais répondu benoîtement « « c’est pas la peine j’ai des livres là dessus » .C’est alors que je me suis aperçu, à la dégringolade de mes notes, qu’un philosophe, aussi brillant soit- il, n’en est pas moins homme.

Si je peux prononcer, sans trop les écorcher, les mots « Young Women Christian Association » c’est à mon professeur d’anglais, Monsieur Paul Laget que je le dois, C’était un professeur remarquable. Il sortait des sentiers battus et il apportait une ouverture sur le monde britannique. Il avait fondé une troupe de théâtre et organisait des concours de poésies. Si l’on devait mesurer les performances d’un professeur à l’aune de la perpétuation de l’espèce nul doute qu’il figurerait en bonne place à en juger par le nombre de vocations suscitées. Pour moi qui n’ai pas fait ce choix, l’ enseignement de M Laget, donnant une part égale à la langue parlée et à la langue écrite, m’a donné un avantage certain dans ma carrière.

Aucune rétrospective de nos années lycéennes ne peut être complète sans évoquer Monsieur Bruon, plus connu sous le sobriquet de « Pilou ». Pilou a été tellement cité par les précédents présidents que je suis certain que les anciens élèves qui ne l’ont pas connu sont persuadés qu’ils l’ont côtoyé, voire même qu’ils l’ont eu comme professeur de mathématiques. Comment va Madame Pilou ? lui avait même demandé un de ses collègues en salle des professeurs . Le Pilou : « tissu cotonneux d’aspect pelucheux » d’après le dictionnaire. Jamais surnom n’a été plus adapté ! Pilou était un tendre, un inoffensif, un écorché aussi en secret. Je mesure maintenant la cruauté de nos quolibets, la stupidité de nos lancers de boulettes avec les règles creuses qui faisaient office de sarbacane ! Pilou c’était le professeur Nimbus arrivant en salle avec deux cravates –à pois je me souviens – superposées ,c’était le professeur Nimbus apportant le sac poubelle au lieu de sa serviette !

Je pourrais continuer encore longtemps cette galerie de portrait : avec Rouget, dit « Gontran », personnage de bandes dessinées, qui éprouvait un malin plaisir à me mettre 1er en Histoire et dernier en Géographie, puis l’inverse le trimestre suivant ; avec Delavet, surnommé « le nabot » , professeur d’histoire, avec sa méthode des « causes, principaux faits, conséquences ». Delavet qui avait tout oublié pendant sa captivité et qui est reparti de zéro pour arriver au CAPES. Peut être dois- je aux cours de Rouget et de Delavet et aux cartes murales « Vidal - Lablache » mettant en valeur l’Empire colonial français, l’orientation de ma carrière militaire vers les troupes de Marine ? Je pourrais encore citer Monsieur Borie, professeur de physique –chimie, qui n’a jamais réussi une expérience pour cause de sabotage. On pourrait aussi évoquer le censeur Jojo ,personnage redouté dont les oreilles s’ornaient de touffes de poils qu’un intrépide ou inconscient a fait mine de tresser devant lui !

Tels étaient nos maîtres . Ils avaient, pour la plupart, une foi totale dans la beauté de leur métier et certains d’entre eux ont refusé des avancements pour suivre la scolarité de leurs élèves. Ils étaient respectés parce qu’ils savaient se faire respecter mais aussi parce que c’ était un autre temps, celui des préceptes moraux dispensés notamment dans les écoles primaires.

A l’époque on lisait sur le tableau noir : « si nous ne faisons pas notre devoir nous sommes rongés par le remords, mais si nous obéissons à notre conscience nous sommes récompensés par une joie intérieure ! » C’était l’époque où, à la campagne, les instituteurs, les institutrices savaient tout faire. Ils dirigeaient des classes qui allaient de la maternelle au certificat d’étude, jonglaient avec l’emploi du temps, assuraient le français, la gymnastique, le calcul, l’orthographe, l’histoire ,la géographie, le dessin, la musique, les sciences nat etc. et en même temps nettoyaient la classe et allumaient le poêle ! C’est ce que j’ai vécu avec ma mère, avant de rejoindre le lycée.

C’est pourquoi, c’est à elle que je dédierai l’honneur que vous m’avez fait en me désignant comme président de la 133ème Saint Charlemagne. Elle qui tout en assurant ses postes dans des coins isolés, à Blanzac, à Vazeilles - Limandre, a élevé –et pas trop mal – ses deux enfants, ceux que vous appeliez à l’époque « petite Susine et grande Susine ».

Mais les temps ont changé,le prestige du maître n’est plus le même. Le métier est devenu plus difficile, plus dangereux. Les « cutters », les couteaux, les poignards et les rasoirs ont remplacé nos inoffensives sarbacanes. La faute à qui ? La faute à Voltaire comme le dit la chanson, c’est-à-dire à personne. En fait le passage d’une société industrielle verticale et hiérarchique à une société de l’information transversale transforme tout : le lycéen, l’écolier a d’autres sources d’information et il s’aperçoit que le maître n’a pas le monopole du savoir. A partir de là tout devient plus difficile ! L’école ne devrait-elle pas alors s’interroger sur le contenu de son enseignement, sur ses méthodes, sur le changement de mentalités de nos jeunes, sur le changement d’époque ?

Il serait prétentieux de ma part de développer ce point. Mais je veux simplement dire que l’institution militaire a, elle aussi, été confrontée à des défis importants pour son avenir. En fait ,depuis 1962 , l’Armée a dû faire face à deux défis et se trouve maintenant face à un troisième.

Le premier défi ,dans les années 60, a été celui du passage d’une armée de temps de guerre à une armée de temps de paix, avec tout ce que cela comporte sur le plan matériel et moral : diminution des effectifs, suppression de régiments, changements d’implantations, déménagements , redéfinition d’une doctrine d’emploi ,réadaptation des moyens , mises à la retraite , changement imposé de spécialité professionnelle, rajeunissement des cadres par modification brutale des règles d’avancement. Du seul fait de celles-ci vous vous trouviez mis en compétition avec des générations d’officiers plus jeunes que vous de 2 à 3 ans ! Mais l’institution militaire est arrivée à gérer ce passage délicat.
Le deuxième défi est plus connu de la plupart d’entre vous parce que plus récent. Je veux parler de la suspension du service national inscrit dans la loi du 28 OCTOBRE 1997 et qui a ouvert la voie à l’armée de métier. Ce passage d’ une armée d’effectifs à une armée plus technique était devenu impératif après les difficultés que nous avions connu lors de la première guerre du Golfe pour envoyer simplement 15.000 hommes ! Mais dans l’inconscient collectif de l’Armée cela a été un vrai traumatisme .Songez que d’un seul coup trois images de l’Armée on été remises en cause :

1 /celle du peuple en armes,

2/celle de l’armée du peuple,

3 /celle de l’armée passage initiatique à l’age adulte.

Au sein des armées le traumatisme a été profond. Comme quelques 30 ans auparavant, il a fallu réduire la voilure (en gros passer d’une armée de terre de 280000 homes à 160.000 hommes, abandonner des garnisons (presque ¼), susciter des engagements (30.000) par an, recruter dans toutes les couches de la société, mettre l’accent sur l’acquisition de métiers. Bref il a fallu fonctionner comme une entreprise qui cultive son image de marque et qui se vend.

Mais surtout il a fallu transformer l’exercice du commandement. On ne commande pas des engagés comme des appelés. Ceux ci avaient deux objectifs : ne pas s’ennuyer et partir en permission. Le régiment était un lieu de passage, de transit .Pour un engagé le régiment c’est le lieu de vie, c’est ce qui donne un sens à sa vie. Bref c’est sa famille. L’engagé donne beaucoup au régiment : son temps, plusieurs années de son existence et même parfois sa vie .En contrepartie il exige tout des cadres : respect, attention, aide et compétence. L’autorité n’est pas accordée d’emblée, elle se gagne et elle peut se perdre à tout instant .Ceci a conduit à remettre en cause radicalement les méthodes de sélection, de formation et d’entraînement des cadres.

Comme lors du premier défi je crois que nous avons bien négocié ce passage à une autre armée. Bien sûr il y a eu des réticences et des grincements de dents mais pas de drames.

Et voici que, 10 ans après cette grande mutation, nous sommes confrontés à un autre défi.
La mondialisation a modifié la vie économique, la vie quotidienne et les relations internationales. De nouvelles menaces sont apparues et de nouvelles vulnérabilités se sont révélées. Le clivage entre sécurité intérieure et sécurité extérieure s’est effacé. Le centre de gravité de nos intérêts s’est déplacé vers l’arc Atlantique, Méditerranée, Golfe, Océan indien Le modèle d’armée pour 2015, envisagé lors de la professionnalisation, s’est révélé inadapté et hors de portée ; c’est pourquoi en 2008 le livre blanc sur la défense a dû tout remettre à plat.

Les effectifs sont ramenés à 130.000 H pour l’Armée de terre (-17%), à 50 .000(-24%) pour l’Armée de l’air et à 44.000 (-11%) pour la Marine. 54000 emplois ,20 régiments et bataillons, 11 bases aériennes ,1 base aéronavale, sont supprimés. L‘objectif est d’inverser le ratio actuel et d’arriver à 40%pour le soutien et 60%pour l’opérationnel .



Le contrat opérationnel est fixé à :

30.000 H déployables en 6 mois et pour un an jusqu’à 7 /8.000 km de la métropole.
Sur le territoire national : 5.000 H en alerte permanente, 10.000 H mobilisables en cas de crise majeure.

Un groupe aéronaval au complet avec son groupe aérien, 300 avions de combat autorisant la projection de 70 avions de combat.

Le renseignement est enfin érigé en fonction stratégique, il rejoint ainsi les autres fonctions : la dissuasion, la protection la prévention et l’intervention. Cette priorité se traduit par un effort sur le spatial : satellites, avions, drones, navires.

Tels sont les objectifs à réaliser . Cela sera difficile. L’avion à long rayon d’action A 400 M a pris du retard et, pour l’instant, nos seuls moyens nationaux ne nous permettent pas de projeter nos forces à longue distance. Enfin la décision de construire le second porte avions n’est pas arrêtée.

Mais je crois que nous pouvons faire face à ce nouveau défi, pourquoi, pour trois raisons :

Parce que l’Armée ne s’est pas repliée frileusement sur elle-même dans un réflexe défense corporatiste. Au contraire c’est bien l’esprit de corps, c'est-à-dire l’esprit de solidarité et la fierté d’appartenir à telle ou telle unité ,qui l’anime .

Parce que l’engagement sur des théâtres d’opérations avec d’autres armées alliées et amies est une source d’émulation et de remise en cause permanente.

Parce que , au fil de ces contacts, l’Armée a développé une culture des résultats qui l’amène à évaluer en permanence l’efficacité de ses moyens et leur adéquation aux missions. Cette culture des résultats tend à se substituer au traditionnel réflexe français de culture des moyens qui consiste à imputer tout échec à leur insuffisance .

Mais revenons, si vous le voulez bien, à nos années lycéennes . Avec le recul du temps peut on dire que ces années nous ont préparés à affronter le monde des adultes ?

Pour moi la réponse est oui. Plus que des connaissances « utilitaires » nos maîtres nous ont apportés les bases d’une culture générale indispensable pour s’adapter au monde des adultes. Ils nous ont donné le goût du travail et de la compétition. Certains, par leurs travers mêmes, nous ont appris que l’injustice, les partis pris, les à priori font partie de la vie …et qu’on s’en remet.

Enfin, ne nous auraient-ils appris qu’un professeur de Philosophie, quand bien même serait-il le plus brillant et le meilleur de France, est comme une mouche et qu’il ne s’attrape pas avec du vinaigre, qu’ils nous auraient légué un des ressorts du comportement humain……

Je lève donc mon verre à la mémoire de nos maîtres et à l’action de notre Association qui, par la magie de la Saint Charlemagne, leur redonne vie pour un temps.

Ils l’ont bien mérité.

Raymond Susini

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