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L'humaniste.

Automne 1948. Je viens d'atteindre (Papa de mauvaise humeur, me l'a dit) le degré ultime du crétinisme absolu. Malade de l'adolescence que nous vivons tous, un peu plus tôt, un peu plus tard et pour, ou contre, laquelle il n'existe de remède que le temps qui passe. J'ai 15 ans, je vais entrer en seconde.
Mon professeur de lettres de 4ème, M. FAURY, m'avait prévenu." La seconde est une année charnière, une année capitale; fais en sorte de ne pas t'en apercevoir trop tard ". Il avait raison...mais ! Dans mes préoccupations, lycéennes, collégiennes et normaliennes avaient pris le pas sur français, latin et maths. Cette année fut la mons heureuse des sept que j'ai vécues au Lycée. Résultats en baisse, incompatibilité d'humeur avec un (au moins) professeur, sanctions disciplinaires bien méritées, bref, une année un peu sombre.
Un rayon de soleil cependant, dans mes souvenirs : Jean DEMEURE, notre "Père Jean", profeseur de français, latin, grec. Curieusement, je me souviens mal de l'aspect physique de cet homme qui pourtant m'a profondément marqué. Une silhouette rondelette, une moustache, c'est peu. Peut-être était-il banal ? Certes, il n'avait pas la classe un peu distante d'un PICON, la fragilité presque transparente d'un PAULIN, l'élégance exotique et surranée d'un Naneix (Le père), l'invraisemblable timidité d'un PILOU, la morgue agressive d'un ROUGE, la bonhomie et l'oeil de verre amovible d'un BONIN, ces traits qui gravent un souvenir indélébile dans notre mémoire collective. Je n'ai pas de photo de groupe de cette année-là.
J'ai oublié son visage, ses yeux mais pas le regard qu'il posait sur nous, ce regard malin mais gentil,intuitif mais indulgent, presque affectueux. Tous se souviennent de son tic jubilatoire lorsque, témoin de nos incongruités, il se massait, entre le pouce et l'index, le bout du nez d'un air faussement navré.
Les "anciens" nous avaient raconté le scénario immuable de la première heure de cours : il n'y dérogeait pas, se présentait, toujours se frictionnait le bout du pif. "Je suis originaire d'un village qui s'appelle Saint-Julien Molin Molette". Nous riions bêtement, il était ravi.
Venait enfin le morceau de bravoure que tous attendions. Titulaire d'une importante décoration à titre militaire, il ne s'en vantait pas et nous expliquait avec force détails saugrenus, comment il l'avait obtenue.
Je vous livre l'histoire telle qu'il nous la contait :
Pendant la guerre de 14-18, jeune soldat, il fût affecté au service d'un officier, un peu outrecuidant sans doute, qui , lorsqu'il était en opération, loin de toute commodité, ne supportait pas de faire, banalement ses besoins dans la nature. Il exigeait de son subordonné qu'il lui tint, sous les fesses, un récipient quelconque (en l'occurence, précisait-il, une boîte de conserve...vide). Un jour, pendant l'exercice précité, une offensive, un replis, un mouvement de troupe inattendus, et voilà nos deux hommes isolés derrière, si l'on peut dire, les lignes allemandes. Réussisant, sous la mitraille, à regagner les tranchées françaises, ils furent accueillis en héros. Décoration, évidemment. Pendant le récit, depuis le dernier rang, tout en haut de la salle de classe, le camarade JEANJEAN mime bruyamment canons et mitrailleuses teutons : boum, boum, ta,ta,ta,ta... Hilarité générale. Je ne compris la leçon que bien plus tard : Vanité des vanités...
Avait-il demandé à enseigner dans cette classe de seconde ? Etait-ce le hasard ? Nous découvrions, séduits, l'harmonieuse adéquation entre un professeur et la période qu'il était chargé de nous faire connaître et aimer. Humaniste authentique Jean DEMEURE concentrait en lui les caractères des auteurs qu'il nous enseignait : la gauloiserie candide d'un RABELAIS, la roublardise d'un MAROT, l'élégante galanterie d'un RONSARD, la poésie nostalgique d'un DU BELLAY, la coquinerie d'un VILLON, la philosophie et le hauteur de vue d'un MONTAIGNE. Je luis dois l'amour que j'ai toujours gardé pour cette période où littérature et histoire furent si intimement et géographiquement mêlées.
Dans sa classe, pas de problèmes disciplinaires : lorsque notre jeunesse nous entraînait à quelque excentricité, il nous regardait d'un air consterné et tranquillement, philosophiquement, nous confiait : "Jean DEMEURE ébahi" ou bien " Jean DEMEURE ahuri " , dans les cas extrêmes, pour nous faire prendre conscience de la navrante imbécilité de notre conduite, dans un grand soupir, "Pauvre DEMEURE".
Reconnaissance émue à celui qui, bien avant le Canard Enchaîné, nous enseigna, à sa façon, la technique de la contrepèterie ; il en énonçait la partie correcte et attendait, d'un air goguenard et éventuellement satisfait, de pouvoir évaluer nos progès dans la résolution du problème.
Cet homme discret mourut discrètement. Peu d'entre nous l'ont appris. Des années plus tard, mon ami Raymond SALVAT me raconta comment, présent par hasard au Puy, il apprit que ses obsèques avaient lieu, ce jour-là, à l'église des Carmes.Il y rencontra Jean SOULAGER assis au fond de la vieille église. Seuls représentants de notre promotion. Cérémonie simple, trop simple pour ce professeur immense mais si bien en accord aveccet homme modeste et merveilleux qui avait cette qualité rare : pouvoir établir, naturellement , des rapports amicaux avec ses élèves...
"Parce que c'était lui, parce que c'était moi ", c'est ainsi que MONTAIGNE expliquait l'amitié qui le liait à LA BOETIE. Jean DEMEURE était notre ami.
"Parce que c'était lui, parce que c'était nous".
Claude DESBATS

Dans la littérature française expliquée par les textes de Brauschwig, Jean DEMEURE est cité en note à propos de la fameuse société des 4 auteurs Racine - Boileau - La Fontaine - Molière et il est qualifié d'érudit " un érudit français Jean DEMEURE a montré la fausseté du mythe de la société des 4 auteurs "(je cite de mémoire).
Christian SUZINI

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