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Portrait de Michel Pomarat par Christian de Seauve

Michel Pomarat
Portrait-souvenir


Silhouette de Michel Pomarat jeune,
papier découpé et collé


Le dos d'une carte postale datée du 30 septembre est ainsi libellé : "Femme chérie. Je t'écris des tranchées boches dans lesquelles nous avons pénétré. A la suite de combats précédents je suis proposé pour la croix pour faits de guerre. Je commande un bataillon. C'est dur mais nous les aurons. Bons baisers à tous". Cinq jours après et à l'âge de 32 ans, le 5 octobre 1915, le capitaine Louis Pomarat était tué à l'ennemi. Ne faut-il pas voir dans cet événement, qu'ont vécu tant de familles, l'origine de l'extrême sensibilité dont Michel Pomarat a témoigné tout au long de sa vie ? Un de ses premiers souvenirs d'enfance, me racontait-il, était la visite de condoléances faites à sa mère et à sa grand-mère par Charles Dupuy, sénateur de la Haute-Loire et ancien Président du Conseil. Faut-il y voir, là aussi, l'origine de ses profondes convictions républicaines guides de son action publique ? Le magistrat est craint pour ses réquisitoires, il est respecté par sa droiture. Celui qui fut, en son temps, le plus jeune procureur de France aurait pu aller au-de-là du poste de conseiller à la cour d'appel de Riom si l'amour de sa patrie ne l'avait pas ramené au pays.

C'est sous cet aspect que je l'ai rencontré pour la première fois. Michel Pomarat était-il pour moi un camarade ? Certes non ! Et pourtant une certaine complicité nous liait. Car malgré trente ans de différences, nous étions «condisciples» du lycée. Elève, j'étais allé en janvier 1956, avec Christian Susini, lui présenter la Gazette du Lycée, au tribunal où il siégeait pour demander une subvention à l'amicale des anciens élèves qu'il présidait. Nous étions très émus, en jeunes gens bien élevés, nous avions conservé pendant tout l'entretien le sourire aux lèvres. En sortant du tribunal, joues et lèvres tremblaient. Ma mère lui avait révélé, à mon corps défendant, que nous avions englouti cette aide dans le banquet de fin d'année.

Par la suite nous nous sommes retrouvés dans les réunions d'anciens. Il était, lui même, entré au lycée en 1918, sur la trace des nombreux membres de sa famille maternelle, notamment ses arrière-grand-père et grand-père Denis et Louis Mallat. Le frère de sa mère le bâtonnier Paul Mallat présida la Saint-Charlemagne en 1952. A son tour, Michel Pomarat a présidé pendant plus de vingt ans ces Saint-Charlemagne, avec l'autorité bienveillante du magistrat. Il dominait de sa haute taille le banquet, laissait imperturbable la vague de chahut de ses camarades s'échouer sur la grève pour continuer paisiblement. L'esprit de tolérance et l'enseignement libéral du lycée ne l'avait pas éloigné de ses convictions catholiques ni de la fermeté dans l'exercice de sa tâche de magistrat. Par la suite, nous avons été admis la même année en 1965 au Rotary-club Le Puy-Lafayette où il a souvent animé nos réunions hebdomadaires par des exposés.

Jusqu'où cette complicité ? En 1975, il avait préparé le congrès de la Société française d'archéologie, après avoir l'année précédente organisé celui, international, des études romanes. Le 4 juin, au crépuscule, il présente aux trois cents congressistes sa chère église de Saint-Paulien. Madame Pomarat arrive mécontente : "le curé est parti, la sacristie est fermée, il n'y a pas de lumière". Je lui fais signe du doigt : "chut". J'avais dérobé un cierge à l'autel de la Vierge pour éclairer le président. La Haute-Loire polémiquait au sujet de l'extension d'un hôpital cantonal qui devait empiéter sur les bâtiments d'un hôtel particulier. Je l'ai conduit, le 8 octobre 1981, sur les lieux avec Yves Soulingeas, directeur des archives. Le propriétaire fut délicatement impressionné par la prestance, les connaissances du conseiller Pomarat. Le plaisir d'évoquer avec lui des souvenirs et des amis communs l'a conduit à donner au département toutes ses archives, jusqu'aux fonds de placards. Jusqu'à ses derniers instants je l'ai tenu en haleine au sujet de Charlotte, l'une de ses lointaines grand-tantes. Je l'informais de toutes découvertes, il me suggérait d'autres pistes . Une amitié sur deux générations : il m'avait raconté qu'avec mon père ils avaient organisé une conférence de Jules Romains le 5 janvier 1929 ; ils s'étaient battus pour avoir du monde afin de couvrir leurs frais. Contents, ils disent au futur académicien qu'ils passeront d'une petite salle au théâtre. Jules Romains leur répond en doublant son cachet !

Michel Pomarat a collectionné très jeune. Le premier livre de sa bibliothèque ne lui avait-il pas été délivré par le général de Maud'huy qui présidait la distribution des prix du collège Ligier Richier de Saint-Mihiel où son père était en garnison, en 1913. Il s'était entouré d'une prodigieuse variété de belles choses, aucun domaine ne lui était étranger. Collectionneur, il le fut dans la grande tradition de ses prédécesseurs : Cortial, Falcon, Aymard. Le lien et la filiation avec Auguste Aymard était très fort, car les Balme, ses derniers descendants, lui en avaient donné les archives. Chez lui, dans le cadre citadin de la maison du Puy, la main de son épouse apparaissait dans la mise en valeur de ces petits chef-d'œuvres qui s'inséraient et composaient, pour le visiteur, un prestigieux décor. La maison avait été édifiée, à la fin du XVIIIème siècle, à cheval sur l'emplacement des anciens remparts du Puy. En hiver, "sur le Breuil", comme au XVIIème siècle, les Pomarat tenaient salon dans cet ensemble raffiné. A la belle saison, le bureau plus austère, "à l'intérieur des remparts", recevait l'hôte entre d' attachantes et rares reliures. Leur accueil dans le cadre rustique de leur maison de Saint-Paulien et dans le calme des après-midi d'été, était d'une autre nature : au musée d'abord, parmi les terres cuites et les bronzes gallo-romains auxquels se mêlaient étrangement de fragiles verreries de la Margeride, puis sous les ombrages du jardin. Comme dans un tableau impressionniste, la conversation par petites touches faisait apparaître les amitiés du passé et du présent, mais les prunes qui mûrissaient à l'arbre donnaient toute sa réalité au temps présent. Dans ces "salons" le hasard souvent bien programmé faisait rencontrer : conservateurs de musée, archivistes, bibliothécaires, architectes ou administrateurs des Monuments historiques, archéologues et historiens avec les ponots de tous bords et de toutes opinions. Toute hiérarchie semblait abolie au profit du but poursuivi, l'ordonnance de manifestations, l'identification d'un sceau ou la recherche du symbolisme d'une fresque. L'orphelin n'était pas oublié et beaucoup d'esseulés ont bénéficié de cette hospitalité. Son épouse lui a aménagé une vieillesse heureuse parce que studieuse jusqu'aux derniers instants. Tous deux étaient une ressource pour chacun.

Vous le constatez, l'homme ne pouvait pas être dissocié de son environnement. Mais pourquoi a-t-il fallu que la somme de toutes ces recherches, par quatre fois au Puy et à Saint-Paulien, devienne la proie des cambrioleurs ? Une plaie à laquelle il ne faisait plus que des allusions discrètes, mais jamais refermée.

Son souci de précision dans le détail en avait fait un expert dans deux domaines : l'héraldique et les poinçons d'argenterie, mais son sens de l'histoire lui a permis d'aller au-delà des arts mineurs pour aborder tous les sujets d'histoire, d'archéologie ou de peinture. La publication de ses œuvres en témoigne . Le portrait serait trop court si l'aide qu'apportait Michel Pomarat aux chercheurs n'était pas évoquée, grâce à la connaissance qu'il avait des lieux, des fonds, des publications et des objets. Elle s'accompagnait, pour celui qui le voulait, d'une censure discrète et indirecte.

Dans les années 50, sa silhouette alerte se reconnaissait sur le Breuil, entre son domicile et le tribunal. Grand, large d'épaules, que le manteau rendait plus grand et plus large encore, il portait un chapeau rond, posé droit sur la tête. Mais cette imposante carrure cachait une fragilité de santé du corps et une grande sensibilité de l'âme. C'était un curieux alliage que ce frémissement d'humanité et de rigueur acquise, que révélait également sa fine écriture réduite à l'essentiel dans ces dernières années.

Christian de Seauve
Président des Cahiers de La Haute-Loire

Retour - Publié le Vendredi 14 Novembre 2008

 

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