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MORT DU PERE, par Jean-Léon DONNADIEU

On était à fin mai, la saison des fraises. On en avait à chaque repas car mon père adorait ce fruit. Il tendait sa coupelle à ma mère qui le servait et fermait les yeux pour n'avoir pas à l'interrompre. Il y versait un verre de bon Bordeaux et ajoutait très peu de sucre. Le 15 juin, au matin, avant le départ, il fit remarquer que la saison arrivait à sa fin et pria ma mère de ne pas oublier d'en acheter.

J'avais, ce jour-là, une heure d'éducation physique, de onze heures à midi, et j'étais en nage lorsque j'ai été appelé chez le concierge du lycée. Mon frère Paul arrivait de son coté. Le greffier du tribunal était là, il était venu nous chercher pour nous conduire à l'hopital où mon père avait été transporté. Je voulais aller prendre une douche mais mon frère avait saisi plus vite que moi la gravité de la situation : mon père, assis à son bureau, s'était effondré sur le dossier qu'il étudiait, atteint d'une très vive douleur. Il avait été aussitôt transporté à l'hopital où les médecins avaient diagnostiqué une '' angine de poitrine ''. A l'époque on ne parlait pas d'infarctus et s'il était clair que c'était un accident cardiaque, je n'ai jamais su exactement quel mal l'avait frappé. A l'hopital on nous conduisit dans la chambre où il était soigné. Je fus pris d'une intense émotion de le voir là, allongé, pâle et sans lunettes, conscient mais lointain. Ma mère était là, aimante et active, elle veillait à tout ce qu'elle devait faire.

Les '' petits '', qui avaient 12, 8 et 6 ans, avaient été confiés à des amis, Paul et moi allions partir déjeuner, rapidement, chez le vice-président. On nous poussa vers le lit pour que notre père nous voie, il ouvrit les yeux, nous regarda et nous dit d'une voix faible mais claire. '' Ce n'est pas une raison pour manquer la classe cet après-midi '' . Je ne me souviens pas des sujets des deux heures de classe d'après le déjeuner, j'étais désemparé mais je n'arrivais pas à penser qu'il allait mourir.

Nous quittâmes, à quatre heures, le lycée où l'on vint nous chercher pour nous conduire à la maison. Le malade, puisqu'il n'y avait plus rien à faire, avait été transporté chez lui pour y mourir. Paul était dans sa chambre, je m'étais réfugié dans un coin du salon, effondré dans un fauteuil où l'on ne me voyait pas. Il y avait grande agitation silencieuse, des amis s'empressaient, avec ma mère, autour du mourant dans sa chambre. Le président du tribunal était venu assister son ami. Deux médecins bavardaient debout dans le salon sans s'apercevoir de ma présence. Je les entendis incriminer le tabac et les nombreuses cigarettes que fumait mon père et s'étonner de sa résistance dans une crise généralement plus expéditive.

Un prêtre vint, appelé par ma mère et lui administra les derniers sacrements. On nous fit venir dans la chambre, nous nous penchâmes sur lui, Paul et moi, pour l'embrasser et je l'entendis nous dire distinctement '' je vous demande de vivre comme j'ai vécu ''. Il se redressa légèrement sur ses coudes, remercia ceux qui étaient là autour de lui, puis il dit '' C'est la fin '', et il retomba. Il était mort.

Le souvenir de la splendeur de cette mort simple ne m'a jamais quitté. Je la revois souvent avec la même émotion que celle que j'ai ressentie ce soir-là. On reste muet, comme égaré, on ne sait que faire et que penser. La foudre a fracassé la maison.

Je pense à son '' comme j'ai vécu ''. C'était sa façon de nous transmettre tout ce qu'il pouvait nous donner et de nous inviter à réfléchir à ce qu'il était et à ce qu'il avait fait. C'est là, pour moi, un sujet de méditation continue. Je n'ai jamais cessé ma conversation avec lui.

Il m'a transmis, par son exemple, sans aucun discours, les valeurs qui étaient, pour lui, fondamentales : l'amour de la famille et le respect dû aux parents, l'honnêteté et l'intégrité, l'indépendance d'esprit et les sens de la justice, le travail, source première du succès et du mérite, le courage et l'imagination. Il pouvait donner l'impression d'être sévère, il était exigeant vis-à-vis de lui-même mais il était gai, plein d'humour et parfois d'ironie. Il aimait rire, mon père.

Jean-Léon DONNADIEU

Retour - Publié le Dimanche 21 Mars 2010

 

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