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Souvenirs... 4) L’occupation allemande

(mi novembre 1942 – fin août 1944)

Un soir, sans doute le 11 novembre 1942, rentrant en vélo, la nuit tombée, d’une réunion aux Eclaireurs, et traversant le champ de foire – pour gagner la Renaissance par la route d’Aiguilhe – je le vois, à ma grande surprise, couvert de véhicules blindés. Mettant pied à terre et m’approchant, je découvre l’identité des équipages : des Allemands casqués, bottés, sanglés. L’invasion de la zone sud n’avait pas été annoncée à l’avance : mes parents ne venaient de l’apprendre à la radio que lorsque je suis rentré précipitamment. L’unité que j’avais aperçue en stationnement devait faire mouvement vers le sud, comme celles qui, à la suite du débarquement américain en Afrique du nord ont tenté, violant les accords d’armistice, de s’emparer de la flotte encrée à Toulon. On sait que celle-ci s’est sabordée, sauf les quelques unités qui ont réussi à gagner l’Algérie, tandis que les fusiliers-marins combattaient dans les rues du port, pour ralentir la progression de l’envahisseur. La canonnade, me disait-on, s’entendait à la Renaissance (1).

Les Allemands n’ont pas tardé à installer une garnison à demeure au Puy, casernée précisément prés de ce champ de foire, et tout un état-major établi en plein centre ville, dans un immeuble réquisitionné en face de l’hôtel Régina : la ‘’ Kommandantur’’. Leurs officiers fréquentaient cet hôtel et c’est là qu’un cousin de ma mère, homonyme de mon oncle Jacques BLOCH, que nous appelions ‘’ le grand Jacques’’, les contactait sous une fausse identité, pour tenter de leur soutirer des renseignements qu’il communiquait à la Résistance. (Alsacien, il était parfaitement germanophone). C’est alors qu’il se trouvait auprès de celle-ci à Langogne, que les Allemands y firent une expédition et qu’il mourut fusillé (non sans avoir indiqué quelques jours plus tôt à son frère Albert, dit Berry, qu’il résidait au Puy, et qu’il craignait d’avoir été dénoncé par une ponote qu’il lui désigna) (2).

A cette époque il était en principe interdit d’écouter la radio anglaise (3). Dans sa fameuse émission ‘’Ici Londres, les Français parlent aux Français’’, par la voix de Maurice SCHUMANN, non seulement elle diffusait des messages à la Résistance, mais aussi les informations que taisaient les médias de Vichy ou inféodés aux Allemands, dont elle dénonçait la propagande : -‘’Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand !’’ - était l’antienne chantonnée à chaque émission.En avril 1943 on pouvait y entendre notamment, au jour le jour, les nouvelles du soulèvement du ghetto de Varsovie et c’est à cette époque qu’un condisciple que je connaissais à peine, Jean Pierre PIETRUSZKA, m’aborda à la récréation pour me dire qu’il avait appris la nouvelle de ce soulèvement. D’ascendance polonaise, il m’avoua que dans sa famille, des militaires de père en fils, on avait été antisémite par tradition et qu’à présent il en avait honte. J’ai été très sensible à cet aveu et davantage encore lorsque quelques mois plus tard, il m’apprit la mort de son père, tombé au champ d’honneur dans les rangs de l’armée ANDERS le corps expéditionnaire polonais qui combattait en Italie auprès des Alliés. Je devais revoir Jean Pierre PIETRUSKA après la guerre, à Paris élève officier à St Cyr. Avisé par notre ami commun Christian COL, également comme nous, étudiant dans la capitale (1), qu’il était contraint pour les nécessités de sa carrière de s’embarquer pour l’Indochine, nous l’avons accompagné au train de Marseille. On sait que nous ne devions plus jamais le revoir. (‘’Le Bahutien’’ lui a consacré récemment un bel hommage, sous la plume de M. Raymond LONGO). Mes camarades m’ont donné à l’époque d’autres preuves de réprobation de l’antisémitisme. Notre professeur d’allemand, M. MEYER, un Alsacien, au demeurant assez bel homme et bon pédagogue (mélomane, il s’aidait d’un piano pour nous inculquer quantité de lieder) ne cachait pas sa germanophilie. A la rentrée de je sais quelles vacances, il s’est mis en tête de nous assigner nos places et m’en a désigné une, au dernier rang, alors que malentendant, j’étais habituellement au premier. J’ai eu beau rappeler mon handicap, il persistait, avec un sourire ironique, à me désigner le fond de la classe? Il a dû cependant céder aux protestations de mes camarades et en particulier d’André DEMOURGUES (à qui je voue un souvenir reconnaissant) (2). Quelques temps après, j’ai eu, si je puis dire, ma revanche. Le chant qu’il a choisi de nous enseigner ce jour-là, l’écrivant au tableau et le tapant au piano, n’était autre que le ‘’Deutschland über alles’’ dont il s’est gardé de dire que s’était l’hymne allemand (3) ; Mais je le savais, car on ne l’avait pas oublié en Alsace Lorraine depuis l’annexion de 1871- 1918 et j’en ai averti à mi-voix mon voisin André MOURGUES. La nouvelle a fait le tour de la classe et mes camarades ont refusé de le chanter. M. MEYER a eu beau alléguer, je crois que cet hymne était, à l’époque surclassé en Allemagne par celui du parti nazi, il a du renoncer à l’enseigner…Autre preuve de solidarité et plus inoubliable encore, cette fois de la part de la famille GARDES. Un jour de juillet 1943 (1), ma mère me dit avoir reçu la visite de la mère de mon chef de patrouille, qu’elle ne connaissait pas, sinon peut-être pour avoir fait un achat à la ganterie de la rue Porte-Aiguière. Cette dame était venue lui demander de me laisser participer à un camp des Eclaireurs de France que son fils allait diriger au lac du Bouchet, argant que par les temps qui courraient, il valait mieux que les petits juifs ne soient pas à la maison, à des adresses connues des autorités. Je fus assez réticent, car en dépit de la parfaite correction de mon chef aux Eclaireurs, j’avais encore quelques doutes sur ses sentiments profonds à ce sujet, mais je cédais aux instances de ma mère et bien m’en prit. Car je garde de ce camp un souvenir merveilleux : de la beauté de la nature, de la gentillesse de Maurice, sa délicatesse à mon égard (compte tenu de ma mauvaise audition, il m’assignait pour mission de dessiner la forêt et sa mère, qui venait nous rendre visite de temps à autre, s’extasiait sur mes dessins !) Nous n’étions que dix, tous juifs (2) - sauf lui – et il nous emmenait, surtout les autres non astreints à dessiner, en expédition à travers les bois et même un ou deux d’entre nous en barque à travers le lac (3).

De retour au Puy, il m’a été donné d’effectuer, à mon tour une ‘’B.A.’’, au profit de coreligionnaires durement éprouvés. Au cours d’un des derniers offices encore célébrés le samedi, rue Sarrecrochet, le rabbin nous informa qu’un contingent de femmes âgées avait été extrait, grace à des complexités, du camp de Gurs – le principal camp d’internement de la zone sud, dans les Basses Pyrénées où étaient acheminés des convois de juifs transférés d’Allemagne, ou allemands et autrichiens arrêtés en France – et hébergées à l’hospice du Puy et que le directeur de cet établissement permettait qu’elles fussent accueillies les après-midis dans des familles juives, à condition qu’on vint les chercher et ramener à certaines heures. J’eus ainsi en charge le convoyage de plusieurs d’entre elles, encore en état de faire le trajet de la Renaissance à pied, et leur répartition entre des familles qui, comme la nôtre savaient l’allemand (4). Nos invités d’adoption étaient deux sœurs, dont l’une Mme SCHULZ, une ancienne modiste de Mannheim, particulièrement distinguée (elle nous faisait cadeau de petits objets de feutre de sa confection : étuis à lunettes etc.) (5)Mais l’autre, une vielle demoiselle décharnée, affamée au point de se jeter après goûter, sur la provision de pommes de terre en robe des champs, que nous leur donnions à emporter au moment du départ, et d’en avaler séance tenante, avec leur peau. Elle devait décéder, je crois, l’année suivante, alors que les évènements nous avaient contraints de mettre fin à ces sorties.

Celles-ci, déjà, n’étaient pas de tout repos. Pour ne pas éveiller de soupçons, nous nous gardions de converser dans la rue - en allemand forcement, à plus forte raison lorsqu’un jour nous avons croisé un détachement de S.S. marchant au pas et saluant leurs officiers, le bras tendu. Mes compagnes ont alors bien su cacher leur trouble et je n’ai jamais apprécié autant le seul avantage que le régime de Vichy ait laissé aux juifs de la zone sud : de ne pas porter l’étoile jaune. Ces S.S. ne sont restés que quelque temps au Puy et nous ignorions alors qu’ils venaient d’établir leur casernement à mi-chemin de notre parcours (1); peut-être appartenaient-ils à la division ‘’Das Reich’’ qui devait se rendre tristement célèbre par les massacres de Tulle et d’Oradour) ?

Du fait de la mise en œuvre de la ‘’solution finale’’, les déportations que Vichy avait primitivement tenté de limiter aux juifs étrangers frappaient désormais aussi, dans les deux zones, les français. Si le Puy avait été relativement épargné jusqu’alors par les rafles nous craignions de plus en plus qu’elles ne nous atteignent d’un jour à l’autre. A la gendarmerie œuvrait un Alsacien, des relations de mon oncle thannois, Jacques BLOCH, qui promit de nous prévenir dès qu’il aurait vent de préparatifs de ce genre. Est-ce par lui qu’il nous fut un jour recommandé de découcher? Un voisin généreux un menuisier du nom de VERDIER, chez qui mon cousin Eric avait travaillé en apprentissage (2), nous logea cette nuit là. Je me souviens qu’au petit matin en épiant la rue à travers ses vitres, je m’efforçais d’apprendre par cœur , la poésie de RONSARD : ‘’Mignonne allons voir si la rose…’’, si peu en phase avec l’atmosphère du moment, qui nous avait été prescrite pour le cours de Français de ce jour. L’alerte fut levée tôt dans la matinée : il n’y avait pas de rafle, mais razzia par une bande d’individus non identifiés qui avaient enfermé un certain nombre de nos coreligionnaires dans l’appartement de l’un d’eux et fait main basse sur leurs bijoux et objets de valeur … Une autre voisine au grand cœur était une dame âgée, Mme CHABRIER, dont la maison et le jardin jouxtaient ceux des VERDIER. Elle invitait ma grand-mère et ma grand-tante dans son jardin, assurant qu’elles y seraient plus en sécurité que chez elles… Et maintenant l’épisode qui de tous, est resté le plus profondément gravé dans ma mémoire : une infraction – dont j’étais responsable – au black-out que les Allemands imposaient pour déjouer les les raids de l’aviation américaine sur St Etienne, et qui aurait pu avoir des conséquences tragiques. A l’époque les réverbères et les phares des rares voitures en circulation étaient peints en bleu foncé et toutes les fenêtres munies de rideaux noirs. J’avais pour consigne de tirer la nuit venue, celui de la chambre où mes parents me laissaient seul pour faire mes devoirs. Quelle ne fut pas ma surprise de voir dans la personne qui se pencha au-dessus de moi un soir, pour voir ce que j’écrivais, un ‘’feldgendarme’’ allemand, sanglé dans son uniforme vert de gris, la poitrine barrée de la plaque de fer caractéristique. Presque au même moment entrent dans la pièce, mon petit frère, ma grand-mère (1), ma grand-tante, suivis d’autres de ces gendarmes, qui se mettent à perquisitionner dans tout l’appartement, ouvrir les armoires… Puis celui qui devait être leur chef demande à mon père nos papiers. Il en avait de Faux, au nom de CACHARD (2), mais ne se rappelant pas où il les avait cachés, lui donne les vrais, estampillés du tampon rouge ’’Juif’’. L’autre les glisse dans sa sacoche et convoque mon père à la Kommandantur pour le lendemain matin, à 9 heures, avant de se retirer avec ses hommes.

Ma mère me dit - « Tu as fait du propre ! » - Et en effet, trompé par la nuit noire et sans lune, j’avais oublié de tirer le rideau de camouflage et la patrouille allemande, passant dans la rue, n’a pas manqué de constater l’infraction. Mon père a mis à profit le répit qui lui était laissé, pour aller consulter un voisin –et homonyme, réfugié de Metz – qui passait pour avoir des attaches avec la Résistance. Celui-ci lui a conseillé de se rendre à la convocation en lui recommandant d’y décliner l’assistance d’un interprète, car a-t-il dit, les officiers, à la différence des interprètes n’étaient pas nazis. D’autre part, a-t-il ajouté si nous nous enfuyons, les Allemands seraient obligés de nous poursuivre et, notre famille comprenant des vieillards, ils en rattraperaient sans doute une partie, alors que le maquis ne pourrait pas nous prendre. Mon père s’est donc rendu à la convocation, tandis que sur les instances de ma mère je suis allé en classe comme de coutume (après avoir beaucoup prié le Ciel, elle et moi, cette nuit-là). En classe c’était le jour de la composition trimestrielle de grec (3). Ne parvenant pas à me concentrer pendant l’épreuve je me suis levé et allé en confier brièvement la raison au professeur, le regretté ‘’père Jean’’ (M. DEMEURE). Apparemment imperturbable, l’excellent homme m’a intimé l’ordre de me rasseoir, m’assurant que - « cela va aller ! » (4). (Au classement, j’allais être premier ex-æquo, mais je le soupçonne de m’avoir favorisé).
A midi, accourant plein d’angoisse, je trouve toute la famille à table, la mine épanouie. Mon père avait été reçu par un officier qui, ayant examiné au préalable les papiers, lui a déclaré d’entrée qu’avec un originaire de St Avold, il n’était sûrement pas nécessaire d’avoir un interprète. Il connaissait cette ville pour y avoir été en garnison pendant la guerre de 1914 et lui en demanda des nouvelles : si le café Terminus où il faisait ses belotes existait toujours… Quant au motif de la convocation, qu’il était en passe d’oublier -« Ah, cette histoire de camouflage ! » - il a jugé cela bénin, annonçant qu’il serait sanctionné par une amende recouvrée par la police française. Il y avait cependant dans la salle un greffier de service qui, alors que mon père était autorisé à se retirer, protesta : « Mais c’est un juif, mon lieutenant ! » et l’autre de lui répondre : « Je ne vous ai pas demandé votre avis !»
Il sera de nouveau question plus loin de l’attitude de cet officier. Mon père n’était cependant pas entièrement rassuré et a jugé prudent que nous logions ailleurs que dans notre domicile déclaré. C’est ainsi qu’il a loué, sans doute vers la fin du printemps (1) le cabanon meublé qu’un aubergiste du Puy possédait sur les hauteurs qui dominent la Renaissance, ‘’Le Haut Charnier’’, le propriétaire se réservant le cellier et le jardin. Je crois me souvenir que nous nous sommes transportés vers la fin juin, sauf ma grand-mère qu’effrayait le chemin pentu et qui préféra rester dans notre appartement officiel où ma tante lui apportait ses repas. Quelle ne fut pas ma surprise en arrivant dans la salle à manger du cabanon et en ouvrant quelques livres – des romans – laissés sur la tablette de la cheminée, d’y découvrir des dédicaces à la fille du propriétaire, certaines d’entre elles en allemand. Elles provenaient de soldats qui fréquentaient l’auberge paternelle. Nous avons compris qu’en nous hébergeant, le bailleur a voulu se ménager l’avenir, pour le jour où ces amitiés allemandes lui vaudraient des ennuis.

Les évènements se sont en effet précipités après le débarquement des alliés en Normandie (6 juin), le maquis se livrant à des actions de plus en plus hardies. Le procureur (ou juge ?) BERNARD était assassiné vers cette époque par un individu sonnant à sa porte en pleine ville. Il devait être compromis dans la ‘’collaboration’’, mais nous en fûmes peinés pour sa fille qui s’était liée d’amitié avec plusieurs jeunes gens juifs de notre quartier et participait à leurs sorties. Un peu plus tard nous restâmes de longs jours sans nouvelles de notre cousin Eric dont nous savions qu’il était parmi les résistants que les allemands combattaient au Mont Mouchet. Il finit par arriver à notre cabanon, assez démoralisé d’avoir dû fuir l’encerclement de l’ennemi sur ordre de leur chef, celui-ci n’ayant pas d’armes à leur donner. D’autres jeunes gens de nos amis ont eu moins de chance : Jean HELLER qui habitait notre quartier avec sa mère, une veuve strasbourgeoise et son frère (1), a perdu la vie dans un engagement (près de Brives-Charensac me semble-t-il) alors que son demi-frère Georges, l’ancien gérant de la succursale de Lyon de la maison HELLER et KLING, tombait dans le maquis de l’Ain (ou du Jura ?). C’est, je crois, à la suite de cet engagement de Brives–Charensac que les Allemands ont arrêté et déporté Jean MEYER, qui habitait cette localité avec ses parents (2).

Toujours vers la même époque, fin juin ( ?), à la suite d’un coup de main particulièrement hardi du maquis contre la station d’essence (3) à la périphérie du Puy, les Allemands ont proclamé l’état de siège dans la ville : des affiches bilingues, signées du commandant de la place, NACHTIGALL, interdisaient notamment les rassemblements de plus de trois personnes, limitaient, je crois les horaires de circulation et édictaient des peines sévères pour les contrevenants. Des barrages étaient établis aux entrées de la ville, (notamment avant la nôtre, à la hauteur de l’abattoir, après le pont de la Borne), afin de permettre des contrôles d’identité. Pour mes parents, il n’était pas question de les franchir. Mais ma cousine Madeleine et moi, nous languissions de ne pouvoir aller en ville. Elle tenait notamment à s’y acheter des chaussures et moi à retourner en classe. Nous faisions valoir à nos parents que nos cartes d’identité scolaire, ne portaient pas la mention ‘’juif’’ et que le barrage du pont de la Borne était disait-on, tenu par un illettré, supplétif de l’armée VLASSOV (l’Oural -‘’Tatar’’ Légion) (4) qui se contentait de regarder les photographies. Nos parents finirent par céder, mais quand j’arrivai à la porte du lycée, mon ancien professeur de l’année précédente – de 3ème – le regretté ‘’père COL’’ (père de mon ami Christian) s’y trouvait et m’apercevant, me dit alarmé, qu’il y avait danger pour moi et que je devais retourner à la maison. J’obtempérai. Sans doute craignait-il que les Allemands ne redoublent de rigueur à l’encontre des juifs, en cette période de tension. Ou était-il vrai que comme me l’a confirmé des années plus tard un ancien ‘’bahutien’’ – un peu plus jeune que moi et d’une autre classe – du nom de CHALENCON, rencontré à Metz, où il était ingénieur à la SOLAC (5), les Allemands seraient venus au Lycée arrêter un de ses condisciples israélites?... L’état de siège fut levé au bout de d’une semaine ou deux (1). Un certain calme étant revenu, mais les évènements se précipitèrent de nouveau aux approches du mois d’août, quand les Alliés parvinrent à percer le front de Normandie, fonçant vers Paris, et d’autre part débarquèrent en Provence. Les troupes allemandes évacuèrent hâtivement tout le Midi de la France pour éviter l’encerclement, et la garnison du Puy se replia par la vallée de la Loire. (Erreur). Mais talonnée par le maquis, elle fut bloquée par lui dans les gorges du fleuve et capitula. Le Puy fut libéré à peu près à la même date que Paris (2). Ce fut une nuit inoubliable, en partie passée à la belle étoile, dans le jardin de notre cabanon à regarder les trainées lumineuses que laissaient dans le ciel les fusées et les obus de mortier : il avait en effet été recommandé de sortir des habitations en raison de risque de chute d’un projectile sur les toits. Dès le lendemain, les rues de la ville en liesse étaient pleines de monde et on pouvait y voir des groupes de prisonniers allemands déblayer les décombres sous la garde des maquisards. Cependant le journal ‘’La Haute-Loire’’, qui reparut avec une énorme manchette annonçant la libération du Puy, indiqua en sous-titre que le commandant allemand et son adjoint, prisonniers étaient autorisés à se promener librement dans la ville, en uniforme et avec les insignes de leur grade – notamment un coutelas passé au ceinturon – en raison de leur conduite chevaleresque envers les maquisards antérieurement tombés entre leurs mains : ils les avaient soustraits à la Gestapo. (Sans antenne au Puy). Ainsi se trouvait confirmée la raison probable de cette ‘’Exception du Puy’’ à laquelle nous faisions allusion. Non plus que l’officier devant lequel avait été convoqué mon père, ses supérieurs n’étaient pas nazis…

Ce récit serait très incomplet, si je ne relatais le sentiment de bonheur intense qui m’emplissait pendant que je me promenais aux côtés de mon père dans les rues du Puy, pleine de monde malgré les tireurs isolés qui faisaient encore le coup de feu sur les toits ce jour-là. Je me rappelle avoir dit à un ami de rencontre de mes parents (un oncle parisien de mes amis MOISE (3), que j’avais connu à St Avold et qui s’était réfugié à St Julien - Chapteuil) que « s’était le plus beau jour de ma vie », à quoi il a rétorqué que « j’en aurais d’autres! » Autre rencontre ce jour-là : le rabbin POLIATCHEK et son fils, revenus du Chambon sur Lignon, où ils avaient fui à bicyclette, le fils tirant son père dans une remorque.(Je ne sais si le rabbin HEISELBEK, rencontré quelques jours après au Puy, revenait aussi du Chambon. Il avait été à la veille de la guerre et redevint rabbin de l’oratoire de rite polonais à Metz. Immigré non francophone, il s’exprimait en yiddish). On sait que le village du Chambon (1) s’est voué entièrement au sauvetage des juifs, les abritant même lors des incursions de la gendarmerie vichyssoise puis de la Gestapo, avec un courage que le pasteur Daniel TROCME a payé de sa Vie (2)….

Rentrés dans notre cabanon, nous avons dû accepter pendant plusieurs jours la présence discrète de l’épouse et de la fille de notre propriétaire : elles restèrent terrées dans le cellier du rez-de-chaussée, la tête enveloppée de fichus, car elles avaient été tondues publiquement – un traitement infligé, comme on sait, aux femmes compromises avec l’occupant. Quelques temps après mon père témoigna en justice en faveur de ce propriétaire, qui nous avait cachés et, je crois que l’affaire n’eut pas de suite. Mais d’autres tournèrent au drame. Je me rappelle l’écœurement que me confia mon cousin Eric, le maquisard, d’avoir dû assister à des exécutions sommaires décrétées par des tribunaux d’exceptions (3). Il avait hâte de rejoindre l’armée régulière, dans laquelle on incorporait les maquisards F.F.I. et F.T.P. (4) et de remplir l’engagement auquel il souscrivait alors, de combattre jusqu’à la libération complète du territoire national (5). L’alternative était de s’engager jusqu’à la fin des hostilités. C’est ce que fit, frais émoulu du ‘’bahut’’, Jean Claude LEVY, fils d’un avocat strasbourgeois réfugié à la Renaissance et petit-fils d’un professeur d’ophtalmologie à l’université de Strasbourg - Clermont-Ferrand, M. WEILL (6). Il tomba au champ d’honneur dans les derniers combats de la guerre en Autriche. (non).

EPILOGUE.

Mes Parents regagnèrent St Avold peu après la libération de la ville (vers le mois de février 1945) et la trouvèrent à moitié détruite. Ils durent s’installer dans la maison de mes grands-parents, la nôtre étant trop endommagée et la partager avec des voisins dans le même cas. Le reste de la famille, réinstallée dans la maison BADIOU n’allait les rejoindre qu’en août, ce qui me permit de terminer l’année scolaire au Puy et d’y passer la première partie du ‘’bac’’. Avant d’en partir, je pris congé de mon ancien professeur de Seconde (1), M. DEMEURE, comme il m’avait recommandé préalablement de le faire ? Il me reçut à son domicile, en présence de son épouse, à l’époque professeur de au lycée de jeunes filles (2) et de leur fils Jacques, qui avait été pendant des années mon compétiteur pour le prix d’Excellence. J’ai certainement exprimé ma gratitude à cet ancien maître pour son enseignement si vivant, mais je me souviens particulièrement de lui avoir dit la peine que j’éprouvais à quitter le Puy – un arrachement – et de la réponse qu’il me fit : « Non, ma destinée était de reprendre ma place dans la région de mes origines, et d’y faire face aux défis d’une existence normale, ce à quoi m’aideraient grandement les études que je me devais de continuer à réussir». (Telle est la substance de ces propos que je retrouve dans ma mémoire).

Rentré en Lorraine, je traversai effectivement une période de désenchantement : les paysages me paraissaient banals et mornes en comparaison de ceux du Velay, St Avold, gris, empoussiéré dans ses ruines, petit en comparaison du Puy, le ciel trop souvent nuageux. Il est jusqu’au niveau de la classe de philo, que j’intégrai à la rentrée à Nancy (3), qui me sembla inférieur à celui des ponots, les élèves y étant dans l’ensemble plus âgés et moins studieux (4). A la longue, je finis cependant par m’attacher à la Lorraine, à ses paysages barrésiens, à la ville de Metz, au site majestueux et aux charmes secrets, où j’ai vécu quarante ans avant de m’expatrier une nouvelle fois, et pour Jérusalem.
Mais ceci est une autre histoire…

Gilbert CAHEN

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Retour - Publié le Vendredi 30 Janvier 2009

 

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