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Souvenirs...3)Après l’armistice : en zone dite « libre »

(Fin juin 1940 – mi novembre 1942)

Le régime de Vichy, instaure sa ‘’Révolution Nationale’’, avec des oukases plus ou moins inspirés de l’Allemagne nazie. Au lycée nous devions, le matin, avant les cours, assister à un lever des couleurs et y chanter le troisième couplet de l’hymne national, dit ‘’couplet du maréchal ‘’ (soi-disant préféré par lui, à la place de l’autre, jugé trop allusif). C’est là qu’un condisciple me dit un jour : - « Qu’un juif n’avait pas le droit de chanter ’’ la Marseillaise’’ ». Symptôme des ravages de la propagande officielle qui ne cessait de rendre les juifs responsables de la défaite! Dès octobre un premier ‘’statut’’, puis un autre l’année suivante, les exclurent d’un grand nombre d’activités professionnelles – fonction publique (4) professions libérales, direction d’entreprises, etc. - de l’université (5), et des grandes écoles, sauf dérogations exceptionnelles. Ainsi mon oncle René KLING et son frère, qui avaient transféré à la Renaissance leur entreprise de graineterie en gros, se virent contraints de la céder à un administrateur aryen, mais celui-ci, précédemment un de leurs employés, bonne âme, leur permettait de continuer à y travailler incognito, dans une arrière-salle.

Au lycée la propagande continuait ses ravages : insultes et taloches fusaient à la récréation; une bande d’excités poursuivait les petits juifs à la sortie, allant jusqu’à les rouer de coups dans les ruelles avoisinantes.Sans doute ces excès n’étaient-ils imputables qu’à une minorité, la majorité restant passive et je me souviens d’un témoin ayant protesté et s’était interposé à la récréation. Mais les parents des victimes de passages à tabac hors du lycée, se sont formés en délégation et plaints au Proviseur. Celui-ci s’est contenté de poster un surveillant à la sortie. Dans l’ensemble cependant, le corps enseignant est resté bienveillant et sourd à la propagande antisémite. Après le lever aux couleurs, auquel j’ai fait allusion, nous avions un cours de chant et le professeur, Melle SICARD, voyant mes larmes et s’enquérant de la cause, m’a aussitôt conduit avec mon insulteur chez le censeur, un Alsacien, M. RUOLD, lequel a blâmé le coupable et, je crois, l’a puni, à la satisfaction de Melle SICARD...

Au cours de l’année 1941, la police de Vichy effectuait des rafles de juifs étrangers pour les interner dans des camps destinés à les regrouper avant leur transfert ultérieur vers Auschwitz et autres lieux. Une de ces rafles a frappé des familles installées à la Renaissance : une famille de Sarrois, du nom de LIESER, réfugiés du Luxembourg , et, je crois, l’ancien bedeau de la synagogue d’Esch-sur-Alzette, également au Luxembourg, M. LEVY. Ils furent enfermés dans un premier temps près de la poste, rue Lafayette, et là un drame se produisit : un membre de la famille LIESER se suicida.

En juin de la même année, j’ai eu 13 ans, âge de la ‘’bar-mitsva’’, la cérémonie juive consacrant la majorité religieuse. Le rabbin a conseillé à mes parents de l’organiser dans notre appartement plutôt que dans le local synagogal de la rue Sarrecrochet, par prudence - crainte de rafle ou de trublions antisémites ?- C’est là que j’ai lu en sa présence, dans le rouleau de la ‘’ Thora’’, apporté pour la circonstance, la section du ‘’Pentateuque’’ à laquelle il m’avait préparé. Parmi les assistants, deux allaient connaître l’année suivante un sort tragique, M. et Mme Paul KLING, cousins de mon oncle René, qu’une voiture de la Gestapo est venue de Clermont, chercher en pleine nuit à leur domicile de la maison ‘’DUCLAIROIR’’ – et mis sous scellés – et, l’on ne devait plus jamais les revoir. J’ai le cœur d’autant plus serré à leur pensée qu’ils m’avaient apporté pour cadeau un livre passionnant sur l’Afrique du Nord et l’Afrique Noire française, auquel je dois probablement ma mention ‘’Bien’’ au bac.

C’est en pensant à ces drames et à d’autres, dont il sera question plus loin, que je me suis élevé contre l’assertion d’un correspondant de la revue ‘’Archives juives ‘’ selon lequel Le Puy aurait été un havre de tranquillité pour les juifs pendant la guerre. Il faisait valoir qu’il avait pu célébrer sa ‘’bar-mitsva ‘’ dans le local synagogal encore à une époque tardive (1942 ? début 1943 ?). Plus jeune que moi, il devait avoir moins de souvenirs. J’ai écrit à la revue qu’il fallait relativiser : que si la persécution des juifs a été moins meurtrière qu’ailleurs, il ne fallait pas ignorer les drames qui s’y sont produits. La secrétaire de la commission éditrice de la revue, m’a alors demandé de lui envoyer mes souvenirs de cette époque, afin de documenter ce qu’elle croyait pouvoir appeler ‘’l’exception du Puy’’.

Ici se place un trait de courage de notre rabbin : en novembre 1941, concluant son sermon de l’office du samedi, il nous dit avoir été convoqué par le préfet pour se voir remettre à notre intention des formulaires d’adhésion à un organisme nouvellement créé par Vichy en remplacement des organisations juives antérieures : l’Union Générale des Israélites de France (U.G.I.F.). Dixit le rabbin : - « Si vous voulez que la Gestapo ait un jour votre adresse, remplissez ces formulaires! Moi je vous dis : ne les remplissez pas!» Nouveau drame l’année suivante, touchant cette fois notre parenté, quoique éloignée. Comme beaucoup d’habitants des localités frontalières, nous en avions non loin de là, à Sarrelouis, ville qui fut française de ses origines louis quatorzièmes à 1815 et abritait une communauté juive remontant à sa création. Ces cousins avaient nom : WOLF. Ils étaient trois frères dont l’aîné avait fait fortune dans la banque à Berlin, puis émigré à New York avant même le rattachement de la Sarre au Reich. Les deux autres quittèrent Sarrelouis à cette date pour se fixer, avec leurs épouses, à Bruxelles (1935). Rattrapés par l’invasion allemande, ils ont été pris dans les rafles (sauf l’épouse du plus jeune, Erna restée cachée à Bruxelles pendant toute la guerre) et transférés au camp d’internement ‘’des Milles’’, près d’Aix en Provence : l’envahisseur imposait en effet à Vichy, à l’époque, la prise en charge des juifs arrêtés dans des pays voisins ou transférés de camps d’Allemagne. Le régime de celui ‘’des Milles’’ était alors relativement mitigé – avant que vers 1943, les Allemands ne dessaisissent Vichy de son administration - et comportait des autorisations de visites et de sorties. Mais lorsque mon père s’y est rendu, seul s’y trouvait encore le plus jeune des deux frères, Ernst. L’autre avait fait partie d’un convoi acheminé ‘’des Milles’’ à Auschwitz, tandis que son épouse, cardiaque, était transférée en résidence surveillée, avec leur petite fille, dans un séjour climatique, à Font-Romeu (Pyrénées Orientales). Ernst lui, étant confiant, s’attendant à recevoir prochainement un visa pour les Etats-Unis, procuré par son frère de New York, de sorte qu’après avoir passé la journée avec mon père, en sortie à Aix en Provence, à la terrasse des cafés, il est rentré le soir au camp. Quelques temps après nous apprenions qu’il avait été à son tour acheminé à Auschwitz (d’où évidemment il ne devait jamais revenir, non plus qu’aucun membre de sa famille).

C’est alors que les miens ont décidé de faire évader sa belle-sœur de Font-Romeu et de la faire venir chez nous, au Puy, avec sa petite fille. Dans un premier temps mon cousin Eric est parti la voir et a ramené une malle avec ses affaires, convenant d’une date à laquelle il reviendrait la chercher. Mais quand il est revenu, il a trouvé la porte scellée : la Gestapo, chez laquelle elle devait pointer chaque semaine, les avaient emmenées à leur tour.

Au cours de l’été 1942, les déportations de juifs qui se multipliaient dans les deux zones, commencent à émouvoir l’opinion. L’évêque du Puy, Mgr MARTIN, comme ses homologues de Montauban et de Toulouse, les condamne dans un sermon à la cathédrale et l’épicière de notre quartier, Mme COLOMB, confie à mon oncle Léon, combien elle en a été bouleversée. Au lycée, les manifestations d’antisémitisme ont cessé comme par enchantement et on lira, plus loin, des preuves du sentiment contraire. Sans doute le changement de climat est-il dû aussi aux autres griefs que le pays éprouve de plus en plus à l’égard de Vichy et des Allemands : prolongation de la captivité des prisonniers de guerre - ( rares étaient les familles qui n’étaient pas affectées) -, difficultés de ravitaillement et surtout introduction du travail obligatoire en Allemagne le S.T.O., ainsi que le manquement éclatant à la promesse d’une relève des prisonniers par ses travailleurs, publiée initialement à grands sons de trompe.

Les réfractaires au S.T.O. furent nombreux. (Le maire de Chadrac, M. LASHERMES, confia à mon oncle Léon qu’il cachait son fils dans le grenier). Beaucoup allèrent grossir les rangs des maquis, quand il s’en formait dans les parages...

Quant au sort de nos coreligionnaires déportés vers l’Est, la radio anglaise confirmait nos pressentiments : les rafles et les convois formés à partir des camps d’internement de France, étaient la mise en œuvre de la ‘’ solution finale ‘’, prévue par les nazis dès 1941, mais organisée au plus haut niveau à leur conférence de Wannsee en janvier 1942 : il s’agissait de l’extermination, à l’échelle industrielle, de tous les juifs d’Europe, auxquels désormais, l’émigration était interdite. Nous pensions par conséquent que notre tour d’être recherchés, n’était plus, à défaut d’une victoire alliée, qu’une question de temps et vivions dans l’angoisse du lendemain. Mon oncle Léon se sentait particulièrement menacé, du fait de sa nationalité étrangère (ou son apatridie) au point qu’une fois, croyant entendre à tort qu’on venait l’arrêter, il sauta par la fenêtre sur cour de sa chambre du 1er étage, traversant la verrière du rez-de-chaussée des BADIOU, par miracle sans se blesser...

C’est vers cette époque qu’il se résolut à suivre l’exemple d’une famille colmarienne de nos amis, qui avait réussi à fuir en Suisse. (Leur fille avait été la meilleure amie de la sienne). Il tenta l’aventure avec ma tante et ma cousine, marchant dans les rues d’Annemasse, selon les indications d’un passeur, vers une maison sise sur la frontière. Mon cousin Eric, qui du fait de sa nationalité française, se sentait menacé, suivait à distance pour voir ce qu’il adviendrait. Il vit un gendarme français interpeller le groupe et procéder à son arrestation et, se retirant, se hâta de prévenir mon père qui contacta un avocat. Celui-ci n’eut pas de peine à trouver des circonstances atténuantes à la tentative de franchissement illégal de la frontière, confer le chef d’inculpation commun à ses clients et aux nombreux autres juifs qui comparaissaient par fournées aux procès. A la suite du leur, ma tante et ma cousine furent remises en liberté, mais mon oncle condamné à trois mois de prison. Toutefois, à sa libération, les geôliers lui dirent qu’il avait bien de la chance, car l’administration de la prison et le contrôle de la frontière allaient être remis incessamment aux Allemands.

Rentré au Puy il jugea prudent, avec ma tante de loger non pas à leur adresse officielle de la maison ‘’BADIOU’’, mais à une autre, inconnue des autorités, à la campagne proche . Quant à ma cousine, elle logeait le plus souvent dans les endroits reculés où l’envoyait l’organisme d’aide sociale ‘’ l’aide aux mères ‘’, pour y effectuer un travail ingrat.

Vers la même époque, je me rendis à Lyon avec mon père, afin de consulter une sommité médicale en oto-rhino-laryngologie, le professeur MOUNIER-KHUN, mes parents espérant améliorer mon audition déficiente ou du moins ma prothèse auditive (je me servais en classe de cornets acoustiques). Ce fut un voyage fertile en péripéties. Le trajet en chemin de fer durait alors six heures, sans doute en raison de dégâts - mal réparés - causés à la voie ferrée par des sabotages du maquis et de la quasi-destruction de la gare de St Etienne par les bombardements de l’aviation américaine (je me rappelle le spectacle des ruines entrevues au passage) ( ?). A Lyon, nous avons été dépassés dans la rue par une unité de la milice en uniformes et bérets noirs, marchant en rangs et au pas. Un coreligionnaire lorrain, relation de mon père, rencontré au même moment , nous recommanda de nous méfier de ces gens dangereux.Et en effet, à peine installés dans un restaurant - qui nous avait été recommandé parce que l’on y servait du risotto, une rareté en ces temps de pénurie – nous en voyons plusieurs y faire irruption pour un contrôle d’identité, les uns bloquant toutes les portes, y compris celles des toilettes, en s’adossant à elles, les autres allant de table en table pour examiner les papiers. Le tampon ‘’juif’’ dont étaient estampillés les nôtres, éveille les soupçons de notre examinateur. Il se refuse dans un premier temps à croire à la raison de notre présence à Lyon avancée par mon père, se tournant, me semble-t-il, vers un collègue. Je me rappelle avoir exhibé mes cornets acoustiques. Finalement il nous lâche et je crois que c’est à ce moment-là que mon père a dit :- « Nous ne reviendrons plus à Lyon. »

Nous avons dû cependant y passer la nuit , acceptant l’hospitalité d’amis coreligionnaires réfugiés de St Avold , une veuve et ses deux fils dont l’aîné Roby MOISE, avait été mon condisciple et conçurent pour la première place au classement de l’école primaire (il avait un cousin, un peu plus âgé que nous, réfugié au Puy et ‘’bahutien’’, Gérard MOISE de Forbach ). Après dîner, Roby m’emmène passer la soirée chez qui habitaient le même immeuble , une famille ALEXANDRE et nous y jouons avec, je crois, deux garçons de notre âge et de leur grande sœur, à un jeu que je ne connaissais pas, le ‘’Mikado’’. Quelques temps après, rentrés au Puy, nous apprenons que la Gestapo avait fait une rafle dans l’immeuble, emmené toute la famille ALEXANDRE, des coreligionnaires qu’on n’avait plus revus, et assigné à résidence Mme MOISE – qui avait pris entre temps la précaution de cacher ses fils à la campagne -. Elle obtint de pouvoir continuer la gérance d’une mercerie, quitte à pointer régulièrement auprès des ravisseurs. Mais ceux-ci ne tardèrent pas à la déporter à son tour. A la Libération elle devait faire partie des rares survivants des camps de la mort et rentrée à St Avold, y reprendre ses activités quelques années, malgré une santé ébranlée...

A l’époque, ma mère tenait beaucoup à ce que je fasse du scoutisme. J’ai donc été inscrit aux Eclaireurs de France (E. d ; F.), neutres au point de vue religieux, car il n’y avait pas au Puy de section Eclaireurs israélites. A vrai dire j’appréciais les marches dans la campagne, les chants entraînants et même les réunions où il me reste d’avoir appris à coudre des boutons. Notre local était proche de la cathédrale, dans une ruelle. J’y retrouvais des condisciples du lycée, certains cependant mal revenus de leur antisémitisme passé. Mais notre chef de patrouille, le regretté Maurice GARDES, plus âgé et plus grand que nous, olympien et animé du plus pur esprit scout, savait les ramener à la raison .

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Retour - Publié le Vendredi 30 Janvier 2009

 

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